- ORS Y ROVIRA (E. d’)
- ORS Y ROVIRA (E. d’)ORS Y ROVIRA EUGENIO D’ (1882-1954)Philosophe, critique d’art, essayiste, romancier, l’Espagnol Eugenio d’Ors appartient à la génération postérieure à la génération dite de 98, auprès de Marañon, de Gómez de la Serna et d’Ortega y Gasset. Comme ce dernier, il consacre une grande partie de son activité à diffuser en Espagne les grands courants européens, philosophiques, littéraires et artistiques, s’attachant plus particulièrement aux problèmes esthétiques. De mère cubaine et de père catalan, il écrit ses premières œuvres en catalan, les autres en espagnol. Son œuvre principale est constituée par ses Glosari , série de brefs écrits commencés en 1906 et prolongés en 1920 par El Nuevo Glosario ; il s’agit d’une sorte de journal intellectuel qu’il conçoit comme une reprise moderne du Dictionnaire philosophique de Voltaire et qu’il complète par le Novísimo Glosario (1947). Esprit curieux, doté d’une rigueur logique remarquable, nuancée d’une fine sensibilité, Eugenio d’Ors s’est toujours maintenu disponible aux idées nouvelles. La politique, la littérature, l’art, la science, la philosophie ont été les thèmes de ses «Gloses», de ses commentaires, d’abord publiés dans la presse quotidienne avant d’être rassemblés en volumes. Ses essais poursuivent cette même démarche: El Valle de Josafat (1921), Océanographie de l’ennui (Oceanografía del tedio , 1921), U-turn it (1923), Lorsqu’enfin je serai tranquille (Cuando ya esté tranquilo , 1930), De la amistad y el diálogo (1914), Aprendizaje y heroismo (1915), Grandeza y servidumbre de la inteligencia (1919).À travers tous les thèmes de sa réflexion se profilent une figure humaine harmonieuse, achevée, et un idéal classique de la civilisation (La Civilización en la historia ). Il explore avec la même ardeur le champ philosophique: Religio est libertas (1930), Primera lección de un curso de filosofía (1927), La Fórmula biológica de la lógica , Las Aporías de Zenón de Elea y la noción moderna del espacio-tiempo , dont les idées se retrouvent dans une œuvre de maturité: El Secreto de la filosofía (1947). Ce désir d’universalité, ce refus du particulier, qui sous-tendent toute son œuvre, traversent avec la même force ses créations romanesques: La Bien Plantada (1912), qui symbolise l’esprit équilibré de la Catalogne, Flos Saphorum (1914). Par sa forte personnalité, par sa culture extrêmement vaste, par son talent et son ironie, Eugenio d’Ors est une figure originale: par son mode de pensée, il se situe dans la lignée des classiques, alors que son style recherché porte l’empreinte du baroque.Ses livres Trois Heures au musée du Prado (1924), Coupole et monarchie (Paris, 1929) et Du baroque (Paris, 1936) sont les plus marquants dans son œuvre. Il y traite des aspects historiques de l’art, vus sous l’angle conceptuel de la «tectonique» et de la «morphologie» de la culture. Son mépris pour l’histoire, entendue comme science de ce qui est contingent, est manifeste, surtout dans Du baroque , texte où il résume un colloque qui se tint à l’abbaye de Pontigny en Bourgogne. Pour arriver à définir le terme baroque, il établit a priori une différenciation entre «styles historiques» et «styles de culture», c’est-à-dire entre ceux qui sont seulement valables pour une époque ou un département culturel et ceux qu’il considère, au contraire, comme permanents ou constants, autrement dit qui peuvent se produire à n’importe quel moment ou dans n’importe quelle culture et qui constituent la tradition. Pour cela, il a recours à la théorie métaphysique des éons, êtres purs de la raison empruntés à Leibniz. Après avoir fait, au moyen de groupes formels ou familles, une classification en espèces du genre Barochus , comme Buffon l’avait fait pour la zoologie et la botanique, d’Ors en vient à conclure qu’aux «formes qui volent» (les classiques) s’opposent les «formes qui pèsent» (les baroques) et que ces dernières, face à l’intellectualisme et au caractère normatif de ce qui est classique, sont le triomphe du vitalisme le plus effréné et une licence sentimentale au caractère passionnel, instinctif et irrationnel.Derrière ses axiomes «culturalistes», il y a toute une éthique et une politique que d’Ors ne niait pas. Il n’est pas étonnant que Pierre Francastel ait qualifié les théories d’Eugenio d’Ors — théories brillantes et qui peuvent paraître sous certains aspects annoncer le structuralisme — d’absurdes et leur auteur de «Joseph protecteur d’une étrange progéniture mystique, d’un peuple d’êtres imaginaires dépouillés de toute personnalité, de toute substance» (Art et Technique , 1956).D’Ors a été le critique d’art le plus important de la première moitié du XXe siècle en Espagne. Plutôt qu’un critique, il se considérait comme un philosophe de la culture qui, par besoin de dialogue avec les artistes et l’œuvre d’art, écrivait ses commentaires sur l’actualité comme s’il s’agissait d’œuvres du passé. À son avis, il y avait plusieurs sortes de critiques d’art: «interjectionnelle» (qui procède par interjections et onomatopées), descriptive, suggestive et explicative, cette dernière étant, selon lui, la seule valable, car on ne pouvait avoir recours qu’à elle pour saisir le sens en même temps que la forme. Tant par ses théories que par ses informations sur les derniers courants cosmopolites de l’art, d’Ors a exercé une sorte de magistère qu’il mena à bien non seulement dans ses articles et ses gloses publiés dans des revues diverses, mais aussi dans des conférences, des manifestations culturelles et des expositions, organisées par des institutions privées et publiques.D’Ors, qui après la guerre civile espagnole occupa la direction des Beaux-Arts et la direction du musée d’Art contemporain à Madrid, créa en 1942, à la galerie Biosca de Madrid, l’Académie brève de critique d’art et en 1943 le Salon des Onze par lesquels il opposa à l’esthétique officielle celle de l’avant-garde et où il exposa des peintres, alors très jeunes, tels que, en 1948, le Catalan Antoni Tapies. Son premier texte relatif à l’art est La Mort d’Isidro Nonell , publié en 1905. À partir de 1916, il commença à publier ses commentaires, dont beaucoup sont consacrés à l’art, qu’il qualifiera par la suite «d’entre-deux-guerres».En 1924, il publia un livre sur Cézanne et en 1930, à Paris, une monographie sur Picasso, qu’il considérait comme un classique vivant et auquel il voua toujours, malgré les divergences d’ordre politique, une grande admiration.
Encyclopédie Universelle. 2012.